Itinéraire d’un enfant gâté « et si j’avais pu coacher Sam Lion et l’accompagner dans sa reconnexion à ses émotions ? »

« Cette personne a réussi dans sa vie », lorsque j’entends ce genre de discours, curieuse comme je suis, j’aime à gratter un peu plus et à découvrir ce qui se cache derrière…. La plupart du temps, les personnes font référence à quelqu’un qui est à la tête d’une grande société, qui est entrepreneur, qui gagne beaucoup d’argent, …

Mais je m’interroge, qu’est-ce que la réussite finalement ?

Avoir une statut social important ? Gagner assez d’argent pour s’offrir tout ce que l’on souhaite ? Être en bonne santé ? Avoir une famille et passer du temps avec elle ? autant de définitions possibles que d’êtres humains.

Réussite rime t’elle automatiquement avec bonheur, contentement, sérénité, apaisement ? Ou s’accompagne t’elle de peur, anxiété, dépression, manque de sens ?

C’est à ce stade de ma réflexion que je me souviens du film « Itinéraire d’un enfant gâté » ; film de Claude Lelouch qui est sorti en 1988 et de la chanson de Starmania repise ici « Le blues du businessman ». Je me demande alors, ce qui a bien pu pousser Sam Lion (personnage joué par Belmondo) à tout quitter et à se faire passer pour mort, alors qu’il a tout réussi dans sa vie.

Et c’est là que me passe par la tête une idée saugrenue…. Et si je coachais Sam Lion ?

Le film

Le film ouvre sur Sam, 50 ans, sur un bateau, il est en pleine introspection sur ce qu’est devenue sa vie. En pleine dépression, Sam n’en peut plus. La chanson du « Blues du businessman » lui va à ravir car finalement ce qu’il aurait aimé c’est être un artiste et non pas ce business man qu’il est devenu. Il va donc prétendre qu’il est mort, disparu en mer, afin de se donner la chance de se retrouver.

Alors, si j’avais pu coacher Sam Lion aurait-il choisi de disparaître ?

Je pourrais demander à Claude Lelouch ce qu’il en pense et j’aime à penser qu’il me rétorquerait « mais voyons Vanessa, si tu avais coaché Sam, je n’aurais plus rien à raconter dans mon film ». Alors, je décide de ne pas demander la permission à Claude et de me lancer dans le coaching de ma vie : je vais coacher Sam Lion, celui qui a bercé mes années de jeune danseuse.

L’itinéraire entre l’analyse transactionnelle, la systémie, la théorie de l’esprit et la narrative en suivant le macro-processus

Je commence donc à coacher Sam avec l’étape de sollicitation du macro-processus®[1] : nous partons du besoin pour faire émerger la demande avec l’exploration du contexte.

Sam est un enfant abandonné par sa mère sur un manège alors qu’il n’est âgé que de 3 ans. Il est recueilli par des gens du cirque. Il devient rapidement un acrobate mais doit malheureusement renoncer à cette carrière prometteuse à 16 ans lorsqu’il fait une chute vertigineuse. Il ne quittera pas la famille du cirque pour autant et deviendra le roi du nettoyage. Il en fera d’ailleurs son fer de lance et deviendra un entrepreneur à succès, patron d’une entreprise de nettoyage internationale de 12 000 employés.

Sam Lion est passionné par le cirque et les lions (dont il tient le nom car il passait son temps près de leur cage quand il était enfant) ; il vit même dans une roulotte à 10m de son entreprise qu’il a appelé [VICTORIA] comme sa fille, son autre passion.  

Il a 2 enfants, Jean-Philippe qu’il a eu avec Yvette dont il était fou amoureux mais qui est morte tragiquement très jeune. Il se retrouve à élever Jean-Philippe seul. Puis il a Victoria avec sa deuxième femme Corinne dont il a depuis divorcé.

Il vit, dort, mange, navigue Victoria. Il ne prend jamais de temps pour lui et il le dit « ça fait 50 ans que j’ai pas passé une heure avec moi ».

Ce temps pour lui, il le prend finalement, et il part pour une traversée de l’Atlantique en solitaire.

C’est ici que je commence le coaching avec Sam, avant qu’il ne décide de disparaître.

Sam Lion me contacte et me donne rendez-vous au « Seven Seas » à Hambourg, son voilier est amarré juste là, tout prêt à prendre la mer. Sam marmonne et j’ai du mal à l’entendre dans le brouhaha du café, je me dis que la prochaine fois j’aimerais bien essayer le coaching sur son voilier, peut-être … En tous cas dans un endroit plus calme, afin d’offrir toute ma concentration à Sam.

Allez, les conditions ne sont pas optimales, mais je me lance.

Moi : Qu’attendez-vous de ce coaching ?

Sam : Je suis un enfant gâté, j’ai cassé tous mes jouets. Je prends trop de place pour les gens que j’aime, sans jamais m’arrêter pour penser à ce que j’aime. Je me suis jeté dans l’entrepreneuriat, j’ai besoin que ça bouge.

Moi : En quoi est-ce important pour vous que ça bouge ?

Sam : Si je ne bouge pas, je m’ennuie… mais j’ai l’impression de vivre une vie à sens unique. Aujourd’hui, je me sens usé, bouffé par VICTORIA et je ne vois qu’une seule issue à ce qui m’arrive, c’est celle de disparaître. Pas pour de vrai, mais faire croire à tout le monde que je me suis perdu en mer.

Moi : Disparaître ?

Sam : Oui, disparaître, faire croire à ma mort, pouvoir repartir à zéro, la case départ comme ma fille l’a écrit. Je pourrais enfin déguster le temps présent.

Moi : Qu’est-ce qui vous en empêche aujourd’hui ?

Sam : Tout le monde compte sur moi, aucune décision n’est prise si je ne suis pas là. Mon fils ne peut pas reprendre les commandes de la société, il n’en est pas capable. Ma fille quant à elle, m’idolâtre, je suis son héros, son modèle. Mes 12 000 employés, mon avocat, mon ex-femme comptent sur moi, je ne peux pas les abandonner.

Moi : Et qu’attendez-vous de moi ?

Sam : Que vous m’aidiez à trouver comment déguster le temps présent, comment prendre une pause et passer du temps avec moi-même, comment être heureux.

Et voici la demande de Sam : « Tracer la suite de mon itinéraire sereinement, trouver une autre raison d’être que l’action. »  

La séance se poursuivra ensuite à la recherche des objectifs de ce coaching ainsi que les indicateurs, l’étape Mission du macro-processus. Ces objectifs sont :

Mon client est maintenant impliqué, et nous avons cadré la mission de coaching. Il est temps de passer à l’étape d’Intervention du macro-processus.

Je commence alors mon itinéraire de coach, en m’inspirant de l’approche systémique, en m’intéressant à la persistance du problème plutôt qu’à ses causes.

Moi : Qu’avez-vous déjà essayé ?

Sam : J’ai essayé de vendre ma société mais je n’ai pas trouvé de preneur à qui je peux laisser mes 12000 employés. J’ai essayé de faire de mon fils un bon PDG pour qu’il prenne ma suite et suive mes pas. J’ai aidé ma fille lorsqu’elle a voulu écrire un livre, lorsqu’elle a voulu partir vivre aux USA….

…..    

Moi : Vous me parlez d’être heureux, c’est quoi le bonheur ?

Sam : Le bonheur c’est …… c’est quand les emmerdes se reposent et alors là il faut faire gaffe de pas les réveiller.

Moi : Quel lien pourriez-vous faire entre le fait de vouloir toujours être dans le mouvement et de ne pas vouloir réveiller les emmerdes ?

Sam réfléchit…… : peut-être que d’être toujours dans le mouvement me permet de garder les emmerdes endormies.

Moi : Tout ce mouvement, jour et nuit, vous permet de garder vos emmerdes au repos alors.

Nous explorons ensuite quelles sont ces emmerdes, depuis combien de temps elles sont réveillées, endormies.

Les emmerdes de Sam sont les émotions, les ressentis. Lorsque je lui parle d’accueillir et d’exprimer ses émotions il me répond du tac au tac « Quand on demande à quelqu’un comment il va, on prend de gros risques ». Autant faire semblant d’être heureux, ce que Sam fait depuis des années. Sam réalise que le problème vient en fait des solutions qu’il avait trouvées afin que ses emmerdes ne se réveillent pas.

Sam porte toujours la même veste lors de nos entretiens, ce qui m’intrigue depuis plusieurs séances, aujourd’hui il fait chaud et je me permets de lui demander : 

Moi : Vous n’avez pas chaud avec cette veste que vous portez tout le temps ?

Sam : Cette veste me protège.

Nous continuons sur cette discussion et cette veste c’est Yvette (sa première femme) qui la lui avait offerte à Singapour juste avant l’accident fatal et il la porte depuis. Nous travaillons sur ce besoin de protection de sa veste ainsi que sur le deuil d’Yvette. Il refuse tout d’abord de parler d’elle « Vous ne voulez pas que l’on parle d’autre chose ? », puis il s’ouvre et accueille la profonde tristesse due à la perte de son grand amour. Sam s’ouvre et réalise qu’il s’est jeté dans le travail jour et nuit car cela lui permettait de continuer à vivre après finalement 3 « deuils » consécutifs[2], car comme au cirque, « the show must go on » :

Tout petit déjà Sam a appris à cacher ses émotions, sa colère, sa tristesse, sa joie, car elles peuvent être dangereuses, « les émotions peuvent nous déconcentrer alors que nous prenons de gros risques en équilibre sur un éléphant ou un cheval » dit-il.

Il est aussi devenu un grand chef d’entreprise en cachant ses émotions « il ne faut jamais avoir l’air étonné ». Il s’est jeté dans le travail afin de ne pas trop réfléchir à lui-même, à sa vie, à ses envies, à ses deuils. Il n’a eu aucune éducation dans le domaine des émotions.

Je me rappelle alors les paroles de Stéphane SEIRACQ : « Si je ne prends pas en compte les émotions, je suis amputé d’une compétence humaine importante, celle de communiquer ». J’accompagne donc Sam dans l’enrichissement de son vocabulaire émotionnel et dans l’identification de ses souffrances et comment les traverser. 

Il s’entraîne d’abord à identifier ses émotions, il prend le temps de les accueillir, de les nommer. Ensuite, il commence à reconnaître leur potentiel : une richesse d’informations sur sa propre identité, il accueille chacune comme une pièce de son puzzle personnel qu’il reconstruit petit à petit. Bientôt il y arrive naturellement, tout seul, sans moi. Le changement est ancré et Sam est maintenant autonome : il a abandonné ses rêves d’enfants et son rêve impossible de faire revivre son grand amour. Il est prêt à se construire un nouveau rêve, mais d’abord il va vouloir faire du tri.

Je poursuis alors mon itinéraire de coach en allant faire un petit tour du côté de l’analyse transactionnelle quand Sam me parle de son fils et de leurs soucis de communication.

Moi : Vous pourriez m’expliquer ce qui ne va pas entre vous et Jean Philippe ?

Sam : Je l’ai mis dans de trop bonnes écoles, mais pas celle de la vie.

Moi : Vous êtes tous les deux à la tête de VICTORIA en ce moment ? Quelle est la dernière fois où vous avez passé une soirée juste tous les deux sans parler / penser à votre affaire ?

Sam : C’est marrant c’est exactement ce qu’il m’a dit quand je suis allé le voir à l’hôpital après son accident de voiture. Je m’étais tellement inquiété, j’étais juste heureux de voir qu’il ressemblait encore à un être humain.

Moi : Comment lui avez-vous communiqué le fait que vous étiez soulagé de le voir vivant et entier ?

Sam : …. Je pense que je l’ai surtout critiqué… ça m’arrive souvent en fait…

Et nous voilà partis dans les différents états du moi de l’analyse transactionnelle. Sam se rend compte qu’il communique à Jean Philippe en émettant depuis son état de Parent Normatif, et qu’il l’envoie vers l’état d’Enfant Adapté Soumis de Jean Philippe. Ceci crée alors des ornières émotionnelles. 

Nous entrons alors dans l’étape de Projection et de Consolidation du macro-processus dans sa relation avec son fils :

Sam réfléchit à quoi ressemblerait une relation « satisfaisante » avec Jean Philippe. Comment serait sa relation avec lui s’il était autant son fils spirituel que son fils biologique.

Il s’entraîne ensuite à émettre depuis son état du moi Adulte, vers l’état du moi Adulte de Jean Philippe.

Sam prend note de ses interactions avec Jean Philippe entre les séances et note que Jean Philippe prend de plus en plus sa place dans l’entreprise.

Ceci permet à Sam de faire le tri : il ne veut plus diriger la société et veut la laisser à son fils. Il veut quitter sa roulotte. 

Je termine mon itinéraire de coach avec Sam en allant faire un tour dans la géographie des pratiques narratives et de ses histoires négligées ou peu racontées.

Après avoir identifié son identité préférée (en ligne avec ses valeurs, ses rêves), Sam va renégocier son club de vie, constitué de membres (vivants ou non, fictionnels ou non : l’Afrique, les lions, Yvette, Victoria, …) qui soutiennent activement ses histoires préférées. 

Sam redevient auteur de sa vie, accompagné par son club de vie, et décide de partir vivre en Afrique au milieu des lions, il est parti « déguster le présent pour être heureux et vivre les plus belles années de sa vie car elles n’ont pas encore été vécues ».   

Mes fréquentes visites dans le monde de la supervision

Se termine ainsi mon itinéraire de coach qui coache l’enfant gâté Sam Lion, mais je ne peux pas le terminer sans vous parler de mes fréquentes visites dans le monde de la supervision lors de ce coaching.

En effet, les séances de supervision m’ont ici bien aidées à faire la part des choses et à être en ligne avec mes propres croyances et perceptions. Car mon plus gros risque ici était de calquer mes propres perceptions et représentations de la perte d’un rêve, vu que j’avais moi-même perdu mon propre rêve de devenir danseuse… et que toutes mes années de vie professionnelle je n’ai fait que rechercher ce rêve de danseuse dans tous mes rôles.

Pour finir

Quel bonheur d’avoir pu « prétendre » coacher Sam Lion pendant quelques temps, je me raconte cette histoire comme celle d’une alliance magnifique, d’éclats de rire nombreux qui me font penser à des éternuements du cœur, expression que j’ai eu le plaisir d’entendre dans une conférence un jour[3]


[1] ®Stéphane Seiracq « Coacher, 6 étapes pour structurer sa pratique » éditions InterEditions

[2] Courbe de deuil de Kubler Ross

[3] Les 3èmes journées des pratiques narratives francophones en juin 2018

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