C’était le 12 Septembre 2021 que mon mari et moi quittions la France en embarquant nos 2 enfants, nos 2 chiens et 5 valises.
Une année pleine de rebondissements, d’embuches, de rires, de joies, de tristesse, de visites, d’aventure…..
Aujourd’hui quand je me retourne sur cette dernière année, je vois surtout une année sous le signe de surcharge mentale colossale. Si nous mettons de côté la surcharge mentale liée à tout déménagement ou gros changement de vie, il nous reste une année en tant que travailleurs / étudiants temporaires… Nous rappelant constamment que nous ne sommes ici que temporairement et que nous sommes finalement en situation plutôt précaire.
C’est-ce que je souhaiterais partager dans ce billet aujourd’hui car finalement nous voyons en rétrospective que cette situation nous a poursuivie toute l’année et nous poursuit encore, même si nous sommes plus stabilisés maintenant.
Tout d’abord, ce n’est pas la première fois que je m’expatrie vu que j’ai déjà passé 11 ans en Angleterre. Ce qui me faisait d’ailleurs penser que je connaissais et comprenais la situation des immigrés, expatriés et autres personnes décidant d’aller vivre dans un autre pays. Je me targuais depuis des années d’être l’une d’elles….vu que je l’avais vécu.
Sauf que ce que j’ai vécu en Angleterre n’avait rien à voir. Faisant partie de l’Europe à ce moment-là, c’était en fait très facile d’aller vivre et travailler à Londres. C’était presque comme la France finalement. Pas de Visas, pas de soucis d’immigration, juste la paperasse normale de déménagement mais dans une autre langue et un autre pays.
Et surtout j’avais dans l’ensemble les mêmes droits que les britanniques (à part bien entendu les droits de voter pour les élections nationales). Pas une seule fois je ne me suis sentie en “insécurité” psychologique dû à ma nationalité française. Pas une seule fois j’ai dû revoir mes plans car non britannique.
Un partage sur notre expérience et non pas une critique ou une remise en question des processus d’immigration
Depuis mon arrivée au Québec, j’ai fréquemment vécu cette insécurité et stress psychologique dû à ma situation et statut. Quand je dis que j’ai vécu cela, je me dois d’y inclure un “Nous” car ma famille aussi. Ce sont quelques exemples que je souhaite partager ici avec ce billet. Il est important que je précise ici, que ce billet n’est en aucun cas une critique ou remise en question du procédé d’immigration actuel. Nous connaissons les règles du jeu et nous les acceptons, ne souhaitant aucunement les remettre en cause. C’est plutôt un partage de comment nous le vivons avec ma famille, et surtout de la charge mentale que cela nous crée quasiment au quotidien.
Le stress est parmi nous dès le départ.. ou plutôt dès l’arrivée
Commençons par le début….Le 1er coup de stress est à l’arrivée.
En effet, tous les documents et autorisations en poche c’est exténués et excités que nous arrivons face au comptoir d’immigration. Mais nous savons que ces papiers ont beau être en règle, à tout moment on peut nous refuser l’entrée et nous remettre dans un avion direction la France.
Stress que nous vivons à chaque fois que nous quittons le pays et y revenons. Stress de perdre nos papiers et permis de travail et d’études.
Quand on est travailleurs ou étudiants temporaires, on ne peut pas juste aller faire un tour aux USA comme ça quand l’envie nous en prend même si la frontière n’est qu’à 50 kms à peine. On doit toujours avoir tous nos papiers officiels avec nous. Puis on se demande toujours si le voyage vaut le coup de peut-être se faire refouler à la frontière même si le risque est minime, il existe.
Car le fait de détenir une AVE et un permis de travail valides ne garantissent pas que vous soyez autorisé à revenir au Canada. Vous devez pouvoir en effet démontrer à l’agent des services frontaliers que vous remplissez toutes les conditions avant qu’il ne vous laisse entrer de nouveau au pays. A chaque fois c’est un gros stress même si nous avons toujours passé les frontières jusqu’ici et que les agents ont à chaque fois été super sympas et accueillants. J’en ressors toujours exténuée et vidée, avec un sentiment de joie qui se mêle à une envie de pleurer de soulagement. Je crois que je suis à chaque fois aussi stressée que mes jours d’examen pendant mes études. Je ressens la même boule au ventre et soulagement une fois passés en tous cas.
La peur d’être refoulée à chaque fois que je passe la frontière
Maintenant, on pourrait juste ne pas quitter le pays vous me direz… sauf que nous aimons voyager, nous aimons visiter et vivre des cultures différentes. C’est cela qui nous a poussés à venir vivre ici et c’est cela qui nous motive.
De toutes façons, on a pas besoin de quitter le pays, il y a suffisamment de situations générant de la surcharge mentale du fait de nos statuts.
Professionnellement par exemple, si tu veux changer de poste, même au sein de ton Entreprise actuelle, il faut un nouveau permis de travail. Donc plus difficile d’obtenir une promotion ou de changer de poste. Cela reste bien entendu compréhensible, vu que ton permis de travail est lié à une offre spécifique, et que tu es travailleur temporaire, il est normal d’aller voir si un canadien peut occuper le poste avant de le donner à un travailleur temporaire. Mais du côté employé, cela rajoute une dimension de se sentir bloqué, emprisonné, lésé. De mon côté j’ai eu beaucoup de chance car j’ai pu changer de job et je m’y sens bien, mais le changement a été long et laborieux, avec tout le temps la peur que cela n’aboutisse pas.
Epée de Damoclès jusqu’à l’obtention du Saint Grall

Ah, ce doux moment magique où on reçoit enfin le Saint Graal, ce petit papier officiel te disant que tu peux respirer car tu as ton nouveau permis de travail. Pendant 5 mois je suis restée avec l’épée de Damoclès au-dessus de la tête: j’étais autorisée à travailler pour mon nouvel employeur jusqu’à ce qu’une décision soit prise concernant ma demande de permis de travail actuelle. Franchement, ce n’est que lorsque j’ai enfin reçu mon nouveau permis que je me suis rendue compte de combien cela m’avait stressée pendant tous ces mois. Je vivais tellement avec ce stress que cela me paraissait normal, jusqu’à ce que la situation cesse…
Je ne cache pas qu’à un moment donné nous avons failli repartir car justement nous croisions trop de ces barrières ou embûches. Nous n’étions pas assez préparés même si nous n’aurions pas pu être préparés pour tout.
Par exemple, nous n’étions pas préparés pour faire face aux embûches successives que mon fils a rencontré. Il avait 16 ans quand nous sommes partis, nous savions que cela serait dur mais tant de facteurs étaient hors de notre champs d’action que c’en était frustrant et déprimant.
Mon fils aurait en effet souhaité faire un petit boulot à côté des cours ou pendant les vacances. En tant que parent je m’en suis voulue car j’aurais dû savoir que les enfants de travailleurs temporaires n’ont pas le droit de bosser même pour faire des petits boulot avant le CEGEP. Si je l’avais su cela n’aurait rien changé sur le résultat mais j’aurais pu préparer mon fils.
Les temporaires n’ont pas le droit de passer leur permis de conduire
Puis grosse claque quand je l’inscris pour passer son permis de conduire et qu’on me répond “Ah non, les temporaires n’ont pas le droit de passer leur permis de conduire au Québec…” Pardon? Pourquoi pas? C’était tout nouveau du 1er Janvier 2022. Notre fils ne pourrait donc pas conduire comme tous ses copains du même âge ici? Ce fût un énorme coup et c’est surtout que nous ne trouvions aucune explication à cette nouvelle directive. Apparemment nous n’étions pas les seuls car cette circulaire a depuis été retirée et il peut enfin conduire.
Vous reprendrez bien un peu plus de surcharge mentale avec votre dessert messieurs dames?
Puis de nouveau un coup de stress en fin d’année scolaire. Il avait été accepté au CEGEP Dawson pour une rentrée au 17 Août. La rentrée approchait dangereusement et nous n’avions toujours pas reçu son nouveau permis d’études. Nous étions rendus au 8 Août en attendant toujours et croisant les doigts.
Il n’allait pas pouvoir entrer au CEGEP???? Que faire???
Heureusement que je fais partie de groupes d’expats qui m’ont bien aidés à ce moment-là car nous étions tous des boules de stress, vérifiant le site de l’immigration toutes les heures, ne dormant plus, ne mangeant plus. Tous les scénarios possibles et imaginables nous traversant l’esprit, gâchant notre semaine de congés en camping en Ontario.
Ce fût à quelques jours de la rentrée que ces fameux groupes m’ont aidée en me disant qu’ayant déjà un permis d’études du Secondaire, il était en statut implicite et pouvait commencer le CEGEP en attendant son nouveau permis. Me voilà de ce pas en communication avec le CEGEP pour leur partager la bonne nouvelle. En fait il avait été malencontreusement enregistré comme étudiant international et c’était la raison pour laquelle on nous envoyait des rappels tous les jours sur son permis manquant.
Vous me direz tout est bien qui finit bien. OK, oui mais pas complètement, en effet très en retard par rapport à ses camarades quand est venu le moment de choisir ses matières pour le semestre, toutes les matières qu’il voulait prendre étaient déjà complètes. Une déception de plus. Une embuche supplémentaire.
Je sais ce dont ils ont besoin
Alors pourquoi partager ici ces expériences vous me direz? Car ceux qui me lisent savent que je retrouve souvent un parallèle entre mes expériences personnelles et professionnelles. Je ne dérogerai pas à la règle ici.
Premièrement, comme je pensais connaître la situation des immigrés car j’avais moi aussi immigré dans un autre pays, beaucoup pensent savoir ce dont les équipes ont besoin. “J’étais Développeur avant, je sais ce dont ils ont besoin” par exemple…
Je pense que nous sommes tous coupables à un certain degré, à plus ou moins grande échelle du syndrome “je sais ce dont ces personnes ont besoin car j’ai vécu ce qu’ils vivent. Je peux leur trouver des solutions”.
Ce n’est en fait pas le cas. Ce que vous savez c’est-ce que vous avez-vous-mêmes vécu, qui pouvait être similaire mais qui n’est pas la même chose.
C’est pourquoi je trouve toujours important de demander à ceux qui font comment ils voudraient faire, de ne pas essayer de se mettre à leur place en leur donnant des solutions mais de les écouter et d’observer leur quotidien pour les aider à trouver leurs solutions. Leur apporter l’information qu’ils n’avaient pas et qui va tout faire basculer dans leur recherche de solution.
Comme les groupes d’expats ont partagé l’information sur le statut implicite dont je n’avais aucune idée avant et qui m’a permis de régler la situation avec le CEGEP. La transparence de l’information, le partage des obstacles rencontrés, les groupes de soutien et d’échanges, les communautés peuvent ainsi guider et soutenir.
Alléger la charge mentale : le rôle d’un Leader
Ensuite, la surcharge mentale est déjà parmi nous, tout autour de nous tout le temps, mais il y a des situations qui viennent l’exacerber. La personne qui la subit ne le sait pas toujours, habituée qu’elle est à avoir sa bonne copine Surcharge Mentale auprès d’elle.
Je vois le rôle d’un Leader comme celui d’alléger la charge mentale de ses équipiers, de leur fournir un espace et un environnement dans lequel ils peuvent laisser leur bonne copine à la porte. Nous n’avons pas besoin de solutions, nous avons besoin d’un moment “au calme” et des informations nécessaires pour enfin nous entendre penser de nouveau et prendre les actions nécessaires.
Partagez votre propre expérience avec les équipes, donnez-leur les informations et la data que vous avez pour qu’ils aient les mêmes bases et puissent prendre les actions et apporter les solutions adéquates.
Vous pouvez faciliter des plages de calme de charge cognitive :
- En mettant en place des journées sans réunions
- En encourageant les équipes à décider d’accords de travail (quand allumer la caméra ou pas – quelles réunions privilégier – etc…)
- En gérant et affichant clairement les priorités
- En limitant le travail en cours et les changements de contexte
- …
Et moi dans tout ça : je fête mes 1 an tranquillement
Aujourd’hui j’ai renvoyé ma copine Surcharge Mentale chez elle pour un petit moment (en tous cas je l’espère). On a décidé de faire une séparation temporaire afin de repartir sur de bonnes bases et redevenir amies plus tard. Une amie qui vient me visiter de temps en temps mais qui ne s’installe pas chez moi…
J’ai renégocié son champs d’action en me dégageant d’elle par moi-même sur certains aspects.
C’est ainsi que :
- Je me suis (avec regret et l’impression de laisser tomber mes collègues au pire moment) retirée du comité organisateur de la conférence Spark The Change.
- J’ai mis en pause mes activités de mentorat pour Agile Montréal (ce n’est qu’une pause et je serai bientôt de retour).
- J’ai arrêté de me mettre la pression pour écrire (et ce billet est arrivé tout seul, a glissé dans son écriture).
- Nous sommes convenus d’un tableau “des corvées” à la maison afin que je n’ai plus à demander à tout le monde de sortir ou nourrir les chiens par exemple. Chacun est maintenant autonome et voit sur le tableau si les chiens ont besoin d’être nourris ou de sortir.
- J’échange plus régulièrement avec des groupes d’expats.
- Je prends plus le temps de méditer pour regarder ma situation avec un autre regard, une nouvelle paire de lunettes…
- Je m’octroie le droit de ne pas mettre ma caméra pendant certains appels Teams, surtout le vendredi.
C’est plus facile vu que j’ai l’environnement professionnel qui me le permet. Ça va aussi mieux maintenant que mon fils est sécurisé avec son permis d’études.
Par contre, on se retrouve dans 2 ans quand tous nos permis arriveront à échéance…